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Sierpień
1982
00:08

Krystyna Janda passionaria du cinéma polonais

Krystyna Janda
passionaria du cinéma polonais

Interprète favorite du cinéaste polonais Andrzej Wajda avec qui elle a tourné quatre films dont « L’homme de fer », Palme d’or à Cannes en 1981, Krystyna Janda fait maintenant ses débuts à latélévision française dans « Ce fut un bel été », une dramatique en deux épisodes de quatre-vingt-dix minutes produite par la SFP.

Fot. D. Sinion/Gamma

Avec sa chevelure blonde, son teint diaphane et son regard délavé et fiévreux, elle ressemble à une héroïne romantique surgie des brumes du Nord. Pourtant, Krystyna Janda n’a rien de la jeune première évanescente. Et sa fougue, son énergie comme son expression tranchante sont bien celles d’une passionaria. Les mots se bousculent tant son débit est précipité, l’interprète traduit à toute vitesse, peine malgré tout à suivre. Mais elle ne s’interrompt que le temps de reprendre son souffle, enchaîne en français, impatiente de se faire comprendre. De temps en temps, d’un geste machinal. elle passe sa main sur son front, comme si elle voulait repousser une mèche imaginaire ou essayer de chasser des préoccupations trop réelles.
Depuis « L’homme de marbre» en 1976, puis «Sans anesthésie », « Le chef d’orchestre» et « L’homme de fer ›, elle s’est imposée à la toute première place dans le cinéma de son pays; aujourd’hui cependant, dans cet hôtel proche des Champs-Elysées, à la veille de rentrer à Varsovie, la comédienne-vedette devenue un symbole du renouveau polonais ne parait plus être qu’une femme lasse et quelque peu désemparée, incertaine du présent comme de lavenir.

Jouer au théâtre!

– Votre premier contact professionnel avec la France, détait, l’année dernière, « Espion lève-toi », le film d’Yves Boisset où vous aviez Lino Ventura pour partenaire. Et maintenant vous venez de tourner pour TF1 avec Maurice Ronet et Bruno Crémer « Ce fut un bel été. Qu’est-ce qui vous a séduite dans ce téléfilm?

– Le scénario, qui est très beau, très actuel. Mon rôle est celui d`une aristocrate polonaise mariée en France a un député de droite. Déçue par l’échec de son mariage, elle tombe amoureuse d’un antifasciste qui a fui l’Allemagne. Et c’est lui qui va éveiller sa conscience, alors qu’en cet été 1939 elle a voulu ignorer les menaces planant sur le monde. Et elle choisira son camp le jour où elle entendra son mari lui dire : « La guerre va arriver, et ton pays, la Pologne, va cesser d`exister… ›.

– Dans quelle mesure s’agit-il d’un sujet actuel pour vous?

– Parce qu’il décrit l’état d’âme d’une étrangère en France, d’une Polonaise en l’occurrence, chez qui renaît un nationalisme tenace au moment où il se passe des choses dangereuses dans son pays.

– Lorsque l’état de siège a été décrété en Pologne, tout le monde a été inquiet sur notamment votre sort et celui de Wajda. Et, finalement, Wajda a pu venir en France pour y réaliser son «Danton» avec Gérard Depardieu, et vous étes restée plusieurs mois a Paris pour „Ce fut un bel été“…

– Il y avait deux ans que j´avais donné mon accord pour ce téléfilm, et le contrat avait été signé entre l’Etat polonais puisque, ne l’oubliez pas, je suis une actrice fonctionnaire, et la télévision française. Mais maintenant je retourne en Pologne.

– Où vous avez des projets?

– Au théâtre. Nous allons commencer une nouvelle saison.

– Et rien au cinéma?

– Les cinéastes qui ont actuellement l’autorisation de travailler en Pologne sont les adversaires de Wajda et de ce cinéma de l’inquiétude morale et aussi de l’espoir dont il a montré la voie. Ils tournent, eux, le dos à la réalité et à l’actualité, et se contentent de réaliser des films historiques à costumes.

– Et à la télévision?

– La télévision, c’est le gouvemement, et les gens ne la regardent plus. Ils préfèrent aller au théâtre: c’est donc là qu’il faut jouer.

– Vous n’avez pas envisagé de rester en France?

– J´ai ma famille, mes amis à Varsovie, et je suis Polonaise!

– Vous avez, je crois, commencé votre carrière assez jeune?

– J´ai débuté à quatorze ans dans « Les trois sœurs» de Tchekhov. ]’ai suivi des cours d’art plastique, de chant, de danse, de comédie. Ensuite, comme tous les acteurs en Pologne, j’ai été rattachée à une troupe fixe après avoir passé mon diplôme de théâtre. Et, à vingt-trois ans, j’ai tourné mon premier film: « L’homme de marbre».

– Comment Wajda vous a-t-il découverte?

– En me voyant au théâtre à Varsovie dans « Le portrait de Dorian Gray » où je tenais un rôle de garçon. En général, il se lasse vite de ses comédiennes, mais il faut croire que j’ai toujours su l’étonner puisqu’il m’a rengagé pour « Sans anesthésie », pour « Le chef d’orchestre »…

– Vous vous ètes demandé pourquoi il tenait ainsi à vous?

– Je lui ai posé la question et il m’a répondu simplement que je lui portais bonheur…
Tout de même, je crois qu’il a pensé à moi pour ètre la violoniste du « Chef d’orchestre» le jour où il m’a vue m’amuser avec ma fille, Marie, qui a sept ans maintenant. Il s’est exclamé: « Mais, Krystyna, tu es une femme! ». C’était une plaisanterie, mais d’une certaine façon je pense qu’il venait de découvrir quelque chose de nouveau en moi… Enfin, il y a eu « L’homme de fer »; j’ai tourné quinze films mais c’est probablement le plus beau.

– Quinze films depuis 1976?

– Oui, et beaucoup de dramatiques télévisées également, et six grands rôles de théâtre, et du cabaret.

– Pourquoi cette boulimie de travail?

– Parce que, depuis trente ans, il n’y a pas eu en Pologne de période plus favorable pour la création que ces cinq dernières années. Il s’est produit un véritable dégel: la liberté a été plus grande, la censure plus douce, des artistes merveilleux ont pu s’exprimer.

– L´important : mon métíer!

Aujourd’hui la censure est rétablie, la libéralisation remise sine die et l’état de siège maintenu. Vous pensez qu’il reste malgré tout un espoir?

– Je ne sais pas… Vraiment je ne sais pas.

– Il y a toujours la pénurie là-bas?

– Je ne sais pas exactement parce que ça change en ce moment… Mais les gens manquent toujours de médicaments, d’argent à cause de l´augmentation des prix et ont encore des difficultés pour se ravitailler.

– Comment vivez-vous à Varsovie? Les acteurs bénéficient de privilèges?

– Des privilèges? Non, les acteurs sont soumis aux mêmes rigueurs que les autres Polonais. Le salaire d’un comédien est très bas, plus bas que le salaire moyen. Pour gagner convenablement sa vie, il faut travailler quelque chose comme douze ou treize heures par jour… Alors, à Varsovie, j’habite dans un deux-pièces de quarante-huit mètres carrés, avec mon mari, qui est le chef opérateur de Wajda, et ma fille. Je me lève de très bonne heure, je pars au studio pour tourner. A cinq heures de l’après-midi, je vais au théâtre pour repéter, et après la représentation je passe dans des cabarets
jusquà deux heures du matin.

– Ce qui ne doit guère vous laisser de temps pour mener une vie de famille et vous occuper de votre fille…

– ]’ai une personne qui garde ma fille, s’occupe d’elle, mais chaque instant libre, le week-end surtout. je le passe avec elle. Elle est venue me rejoindre ici pendant que je tournais « Ce fut un bel été ». Mais bon, je travaille beaucoup, c’est la vie! Et j’ai eleve ma fille comme ça: en lui apprenant qu’il y a un temps pour que je sois avec elle et un temps pour moi.

– En France vous ètes un symbole…

– …tous les journalistes que je rencontre me le disent…

…alors il y a une chance pour que ce soit vrai!

– Mais pour moi ça ne signifie rien. L´important, c’est mon métier et c’est tout.

– Vous n’avez pas le sentiment de représenter quelque chose aux yeux de l’Occident, au même titre que Wajda ou Lech Walesa?

– Non, vraiment, je ne m’en rends pas compte.

– En Pologne, la liberté est bafouée, mais ailleurs des hommes, des femmes et des enfants meurent sous les bombes: c’est peut-être plus dramatique!

– Bien sûr, il se passe dans le monde des événements très très graves! Mais je suis Polonaise et les êtres que j’aime sont en Pologne. Alors c’est la Pologne qui m’importe d’abord! l

CHRISTIAN GONZALEZ
Fot. D. Sinion/Gamma

Femmes d´aujourd´hui, 31.08.1982

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